Dans une longue interview accordée à la chaîne H5 Motivation, l’ancien président sénégalais Macky Sall revient sur son parcours, ses choix politiques et sa vision du continent africain. L’échange, mené à partir de son livre L’Afrique au cœur, dévoile un itinéraire marqué par la rigueur scientifique, la solitude des luttes politiques et l’ambition de placer le Sénégal sur la scène internationale.
Des origines modestes à la passion pour le sous-sol
Macky Sall raconte son enfance dans le Sine, au sein d’une famille modeste éduquée dans les valeurs de courage, d’honneur et de dignité. Son père, migrant en quête de travail, l’incite à étudier : « ton pic ou ta pelle doit être ton stylo ». Cette injonction le pousse vers les sciences de la terre. Après le lycée, il choisit la géologie, malgré le souhait paternel de le voir ingénieur agronome , devient ingénieur géologue puis se spécialise en géophysique pétrolière à Paris. Il rejoint ensuite Pétrosen au début des années 1990 pour promouvoir le bassin sédimentaire sénégalais à une époque où les grandes compagnies pétrolières s’y intéressaient peu.
De l’engagement étudiant à l’ascension politique
Engagé dès ses années universitaires contre les politiques d’ajustement structurel et pour le pluralisme, Macky Sall s’investit dans les mouvements de gauche, puis rejoint le Parti démocratique sénégalais (PDS) dirigé par Abdoulaye Wade.
Il gravit rapidement les échelons : conseiller à la présidence, directeur général, ministre de l’Énergie et des Mines, puis de l’Intérieur, Premier ministre (2004-2007) et enfin président de l’Assemblée nationale. La rupture avec Wade est brutale : destitution, isolement, perte de ses mandats. Macky Sall raconte la solitude qui suit la disgrâce : « Quand tout va, tout le monde est là… mais quand les choses tournent mal, très peu restent. » Il crée malgré tout son propre parti avec « une poignée d’amis » et se lance dans l’opposition.
Une présidence tournée vers les besoins essentiels
Une fois élu en 2012, Macky Sall met l’accent sur des programmes qu’il qualifie de nouvel ordre de priorité :
- PUDC (Programme d’urgence de développement communautaire) pour l’électrification rurale, l’accès à l’eau potable, le désenclavement des villages et l’allègement des travaux des femmes.
- PIMENT, destiné aux zones frontalières, avec électrification solaire, ambulances, écoles et centres de santé.
Il revendique une action centrée sur les infrastructures de base et la solidarité : aides financières directes, gratuité de certains soins pour les enfants et les personnes âgées, et mise en place d’une couverture maladie universelle passée selon lui de 20 % à près de 60 % de la population à son départ.
Sur le plan énergétique, il impulse la création d’un Institut supérieur du pétrole et du gaz pour former des cadres, fait voter des lois interdisant d’hypothéquer les ressources naturelles et prévoit un fonds destiné aux générations futures.
Défendre la souveraineté africaine sur la scène mondiale
L’ancien président insiste sur son refus des « injunctions civilisationnelles ». Il cite notamment l’épisode où, aux côtés de Barack Obama à Dakar en 2013, il réaffirme que la société sénégalaise doit évoluer à son rythme sur les questions de société : « On ne peut pas imposer aux autres des valeurs simplement parce qu’on est plus puissant ou qu’on donne de l’aide. » Il défend aussi l’idée d’une Afrique respectée : en tant que président de l’Union africaine, il a plaidé pour que le continent obtienne une place permanente dans les grandes instances internationales, notamment lors de ses démarches pour faire admettre l’Union africaine au G20 et pour réclamer une réforme du Conseil de sécurité de l’ONU.
Un témoignage entre lucidité et endurance
L’interview montre un Macky Sall pragmatique : conscient des trahisons politiques, il refuse la revanche comme moteur d’action et insiste sur la nécessité de se concentrer sur les objectifs collectifs. Il revendique une capacité à absorber les coups : « Je sais encaisser mais je sais aussi fermer les portes quand il le faut. »
Son récit est celui d’un homme qui a bâti sa carrière sur la persévérance, la technicité et une conviction : le développement africain commence par les besoins vitaux et par la dignité dans les relations internationales.
Points clés à retenir
- Un itinéraire unique : ingénieur géologue devenu chef d’État.
- Priorité sociale : programmes d’accès à l’eau, à l’électricité, aux soins et de désenclavement.
- Ressources protégées : formation locale et lois contre l’hypothèque des richesses du sous-sol.
- Diplomatie ferme : refus des pressions culturelles et plaidoyer pour la représentation africaine au plus haut niveau mondial.
Cet entretien, très personnel, éclaire à la fois le cheminement intime de Macky Sall et sa lecture stratégique des défis africains contemporains.
MARAMORY BOUKA NIARE
Rédacteur en Chef