La dernière vérification financière du Bureau du Vérificateur Général (BVG) sur la Compagnie Malienne pour le Développement des Textiles (CMDT) n’est pas qu’un rapport technique : c’est un véritable réquisitoire contre une gestion qui confond fonds publics et caisse personnelle, règles d’attribution et favoritisme, intérêt général et arrangements douteux. Et ce, seulement sur l’exerce 2020, 2021, 2022, 2023 et 2024 (31 juillet).
4,19 milliards FCFA sans justification Sur un total d’irrégularités financières chiffrées à 6,2 milliards FCFA, le BVG affirme que 4,19 milliards restent à ce jour non justifiés et non régularisés. Derrière ces chiffres, une longue série de manquements où le laxisme administratif se mêle à des décisions aux relents de clientélisme.
Pesticides interdits : un scandale sanitaire et réglementaire
Premier coup de massue : des responsables de la CMDT, main dans la main avec certains agents du Commerce extérieur et des Douanes, ont facilité l’importation et l’utilisation de pesticides non homologués. Et pas par erreur : les dérogations légales ne concernaient qu’une campagne agricole, mais les importations ont continué la saison suivante, en toute illégalité. Résultat : risque sanitaire pour les paysans et les consommateurs, atteinte à l’environnement, et mépris total pour les textes en vigueur.
Contrats sur mesure et fournisseurs “fantômes”
Le rapport dévoile aussi un curieux ballet dans l’attribution des marchés. Certains fournisseurs ont reçu des lots pour lesquels ils n’avaient même pas soumis d’offre. D’autres ont été choisis sans respecter le rapport d’analyse des offres, ouvrant la porte à toutes les spéculations sur les véritables critères de sélection. On appelle ça, dans le jargon, de la passation de marché orientée – et dans la pratique, un terrain fertile pour les surfacturations et les livraisons douteuses.
Indemnités indues et appuis financiers sans justification
Le Président Directeur Général de la CMDT ne s’est pas contenté de piloter l’entreprise : il s’est aussi octroyé des indemnités jugées indues par le BVG et accordé des appuis financiers non justifiés. Dans une entreprise publique censée soutenir les producteurs, ces gestes ressemblent moins à du management qu’à du prélèvement personnel sur la trésorerie.
Cautions oubliées, TVA versée à tort, prêts sans remboursement
Les exemples se multiplient : absence de mobilisation de cautions après des contrats résiliés, paiements de TVA indue, et même un prêt de plus de 300 millions FCFA au personnel, sans dispositif clair de remboursement – dont une partie est aujourd’hui considérée irrécouvrable. Autant dire qu’ici, l’argent public est distribué avec une désinvolture qui frise l’irresponsabilité.
La CMDT dans le mur sans sursaut
Cette vérification n’est pas la première à pointer des dérives dans la gestion de la CMDT, mais elle a le mérite de chiffrer l’ampleur des pertes et de montrer que les dysfonctionnements ne sont pas des accidents isolés : ils sont systémiques.
Si l’État, actionnaire quasi exclusif, ne serre pas la vis, c’est toute la filière coton – pilier de l’économie malienne – qui risque de continuer à s’effilocher au fil des détournements, des passe-droits et de l’impunité.
Maramory Bouka Niaré
Rédacteur en Chef